Quatre heures du matin. C’était l’heure qu’affichait la pendule accrochée à un des murs de mon bureau. Cigarette en bouche, je comptais l’argent du jour, ou du soir plus précisément. Plus les jours passaient, plus on gagnait d’argent. Ma fierté ne faisait que grandir de plus en plus et d’ici peu, j’allais être aussi riche que mes parents (enfin si je pouvais encore les appeler comme ça étant donné que cela fait quatre ans que je n’ai plus aucune nouvelle). Eux, ils avaient mis des années à avoir tout cet argent, moi, j’avais mis… quoi ? Quatre malheureuses années de ma vie ? Presque cinq ? Il y avait de quoi être fier et franchement, je l’étais. Au fur et à mesure que je comptais, je notais sur un papier histoire de ne pas me perdre dans mon comptage. Si je venais à perdre le fil, j’étais dans la merde parce qu’il faudrait que je recommence tout et à quatre heures du matin, ce n’était plus vraiment l’heure pour les calculs. Si je faisais ça, maintenant, c’était que perdre le fil et tout recommencer m’était déjà arrivé. Cette fois-là, ça m’avait tellement gonflé que depuis, je m’étais juré de ne plus jamais me faire avoir ! Une fois mais pas deux, c’était une de mes devises de vie.

Ce soir, j’avais dû remplacer celui qui s’occuper de la musique car monsieur avait décidé de tomber malade. C’était bien ma veine, mais bon, je ne pouvais pas non plus râler parce que ça pouvait arriver à n’importe qui et surtout n’importe quand. D’ailleurs, c’était pendant que je m’occupais de ça que je m’étais dit que ce serait peut-être bien que j’embauche un deuxième DJ juste pour avoir une roue de secours. Et puis, ça diminuerait quand même la charge de boulot. Enfin, ce n’était pas la première fois que je le faisais non plus étant donné que quand j’avais ouvert, c’était moi qui m’occupais du son jusqu’à trouver quelqu’un pour occuper ce poste. Au fond, moi, ça me permettait aussi de remplir mon rôle de gérant parce qu’il ne fallait pas croire que je me la coulais douce dans mon bureau pendant que les autres géraient, hein ? Quand il y avait une merde, c’était moi qui devais trouver une solution et surtout, il fallait que je surveille mes strip-teaseurs et mes strip-teaseuses. Bon, j’avouais que je regardais plus mes danseuses, mais on va dire que c’était normal. Je n’étais pas encore assez bi pour mater les mecs, même si j’étais contraint de regarder aussi, mais disons que je trouvais ça nettement moins excitant. En fait, je ne réagissais pas. C’était un public de femmes qu’ils devaient attirer, pas l’inverse. A moins qu’un bi ou homo se promenait dans le coin.

Le club était ouvert à toute orientation sexuelle. Je ne faisais absolument aucune discrimination. Même mes danseurs étaient variés. Bon tout ça ne s’était pas fait en un coup, mais quand même assez rapidement. Ca avait été nécessaire quand un de mes danseurs s’étaient fait tripoté par un gay. Ce soir-là, j’avais réellement cru que ça allait partir en sucette et que ça signerait la fin du club… Franchement, quand on tenait à son rêve qui se réalisait à peine, on faisait absolument tout pour qu’il reste sur pied et qu’il dure. Pour cette raison j’avais absolument tout mis en place pour que ça fonctionne comme sur des roulettes. Et maintenant, ça faisait quatre ans que tout allait bien et dans le meilleur des mondes. Je posais la dernière liasse de billets que j’enfermais ensuite dans le coffre fort qui se trouvait derrière mon bureau. Ce qui m’étonnait, c’était que personne n’avait encore essayé de nous voler… pourtant, les gens savaient qu’on se faisait un paquet de blé. M’enfin touchons du bois, il fallait que ça continue ! J’étais le seul à connaître la combinaison pour la simple et bonne raison qu’à ce niveau là, je ne faisais confiance qu’à moi-même. Après, pour le reste, j’accordais ma confiance à certaines personnes. Pas toutes étant donné que je ne les connaissais pas tous assez. Mais par exemple, je savais que si j’avais un jour un souci, je pouvais faire confiance à Maddy pour prendre les choses en main.

Maddy… c’était la seule fille avec qui je pouvais coucher plusieurs fois sans me lasser. Et quand je disais la seule, c’était bien la seule ! Les autres me gonflaient au bout d’un moment, mais pas elle. Allez savoir pourquoi est-ce qu’avec elle c’était différent. Même moi je ne me l’expliquais pas et pourtant, niveau explication des choses, j’étais loin d’être nul quand ça me concernait. Je me connaissais mieux que personne et pourtant, cette fille là arrivait à démentir tous mes principes. C’était franchement troublant, mais je ne prenais pas vraiment la peine de réfléchir le pourquoi du comment non plus. Si je m’y mettais, ça allait vite me prendre la tête alors je préférais très largement vivre au jour le jour sans trop me poser de questions. De toute façon, ça ne servait à rien non plus de passer son temps à se questionner encore et encore parce que c’était un coup à devenir complètement maboule ! On toquait souvent à ma porte et à chaque fois c’était les danseurs qui venaient me dire qu’ils partaient etc… je répondais par automatisme un « à demain » avant de retourner sur ce que j’étais entrain de faire. Sauf que là, j’avais terminé de compter du coup, j’allais être un peu plus attentif à ce que j’allais dire. Les gens avaient l’habitude bien sur, mais je me rendais compte que je ne faisais pas souvent gaffe à qui venait me dire au revoir.

On toqua une nouvelle fois à ma porte, qui était restée ouverte, et quand je le levais les yeux pour voir qui c’était, un large sourire vint se peindre sur mes lèvres. Maddy en personne. Généralement, quand on parlait du loup, on en voyait la queue… mais ça marchait aussi quand on pensait à une personne en particulier. Comme à chaque fois que je la voyais, je ne pus m’empêcher de la regarder de haut en bas tout en la déshabillant du regard. Peu importait ce qu’elle portait, de toute façon, elle avait toujours le don de me faire de l’effet. Elle pouvait porter les vêtements les plus laids du monde que ça ne changerait strictement rien au cours des choses. Décidemment, cette fille était un vrai mystère dont l’explication n’arriverait peut-être jamais. Comme toujours, elle entra sans vraiment attendre d’invitation. J’avais vite cerné sa personnalité quand je l’avais rencontré et j’avais compris qu’elle n’était pas vraiment du genre à respecter les ‘formules d’usage’. Je ne cachais pas que ça m’allait totalement d’ailleurs !

- La nuit a été bonne ? demandais-je en la regardant arriver.

Compter des billets n’était pas le meilleur boulot quand on était patron d’une boite, même si ce n’était pas une entreprise énorme ! En fait, c’était assez chiant, mais comme je ne faisais confiance qu’à moi, il fallait bien que je le fasse. Bon, il y avait des gens, ici, qui avait ma confiance, mais ils étaient extrêmement peu. D’habitude, je ne m’y prenais pas aussi tard pour les compter, mais comme c’était moi qui avais géré la musique pendant toute la soirée, je n’avais pas pu le faire avant. Heureusement que depuis le temps, j’avais pris le rythme. Je me souvenais bien des premiers temps où je devais me gaver de truc pour tenir le coup. Bon, j’avais toujours été habitué à me coucher tard, mais durant ces soirées là, je m’amusais, je ne travaillais pas, du coup, c’était pas du tout la même.

Maintenant, c’était presque la routine, le truc basique. Ce serait travaillé de jour qui me paraitrait bizarre. Puis, c’était moi qui l’avais voulu ce job là et j’en étais réellement fier. J’avais fait quelque chose de génial. Ce n’était pas la vie rêvé que mes parents auraient voulu pour moi, mais franchement, arrivé à un stade, je m’en foutais totalement. Je n’avais plus de nouvelles depuis des plombes et de toute façon, je n’en voulais pas. C’était eux qui avaient décidé de couper les ponts, même si au fond, ça m’arrangeait plutôt pas mal parce que je n’en avais strictement rien à faire. Ils pouvaient devenir ce qu’ils voulaient, ça ne m’intéressait absolument pas.

Après avoir rangé l’argent dans le coffre, je notais la somme totale du jour, ou plutôt du soir, dans le cahier des comptes. Je n’étais pas avare et je ne comptais pas forcément mon argent, mais quand il s’agissait de ma boite… Bah je n’avais pas envie de tourner en faillite. J’y tenais trop. J’y tenais exactement comme un mec pouvait tenir à sa voiture. Bon, je tenais à ma voiture aussi, hein ? Parce que j’avais mis de côté des lustres jusqu’à pouvoir l’acheter. Maintenant, on ne pouvait pas dire que j’étais pauvre, loin de là, mais quand on commençait sans rien, disons que le moindre sous était important. Enfin, pour le moment, je ne me faisais absolument aucun souci pour le strip-club. Des beaux jours étaient encore à prévoir.

Ma clope venait de se terminer quand Maddy débarqua dans mon bureau sans attendre de se faire inviter. De toute façon, elle n’avait jamais besoin d’attendre. Je la considérais un peu comme mon égal. Contrairement à beaucoup de mes employés, elle avait su s’imposer comme il le fallait. Je la laissais gérer comme elle le voulait parce que je savais qu’elle ne ferait rien de travers. Bon, bien sur, je n’étais pas à l’abri qu’un jour elle fasse un truc de travers ou quoi, mais elle pouvait compter sur moi pour le lui dire. Même si on couchait régulièrement ensemble et que j’adorais le sexe avec elle, ce n’était pas pour autant qu’elle pouvait faire n’importe quoi. Mais ça ne servait à rien de se faire des plans, jusqu’à présent, je n’avais jamais eu rien à redire donc du coup, tant que ça fonctionnait comme sur des roulettes, je n’avais pas à m’inquiéter.

La question que je lui posais était assez habituelle, je devais bien l’avouer. Mais bon, je voulais quand même savoir son point de vue et surtout ce qu’il s’était passé de son côté. Je hochais mécaniquement la tête à sa réponse. Je continuais de la fixer avec mon sourire en coin pendant qu’elle s’installait à même le bureau. Un peu comme à son habitude quoi. Un sourire amusé vint remplacer celui en coin que j’abordais et je croisais mes doigts sur le bureau tout en la fixant. Un sourcil s’arqua et machinalement, je demandais :

- Serais-tu entrain de te lasser ?

Si Maddy se lassait, j’allais sérieusement faire faillite parce que des employés aussi fidèles qu’elle, ça n’existait carrément pas. Du coup, j’espérais vraiment qu’elle n’allait pas me faire ce coup-là, même si je pouvais un peu m’attendre à tout venant de sa part. Enfin, tant que je n’avais pas sa réponse, j’allais pas me faire tout un plan comme quoi elle allait m’offrir une lettre de démission dès le lendemain avant la prochaine soirée de boulot. Bref, je repris mon sourire habituel quand elle demanda la somme de la recette du soir. Je jetais un nouveau coup d’œil sur le cahier, vite fait. Bah ce n’était pas mal comme rentrée d’argent. Moi, je trouvais qu’on frôlait les sommets de plus en plus. Plus ça allait, plus on comptait de clients.

- Une belle somme ! On frôle les 50 000$ avec les gens qui payent le surplus pour les shows perso et plus.